Le contrat d’engagement commun à plusieurs artistes

L’article L. 762-1 du code du travail prévoit que tout contrat conclu avec un artiste du spectacle moyennant rémunération est présumé être un contrat de travail. Ce texte autorise également la conclusion de contrats de travail communs à plusieurs artistes se produisant dans un même numéro ou à plusieurs musiciens appartenant à un même orchestre. Ce contrat commun à plusieurs artistes peut n’être revêtu de la signature que d’un seul artiste à condition que celui-ci ait reçu mandat écrit de chacun des artistes figurant au contrat. Souvent, l’artiste ainsi mandaté recherche, négocie et passe les contrats d’engagement commun avec les entrepreneurs de spectacles. Dans une telle situation, on est souvent amené à s’interroger sur le rôle exact de cet artiste afin de déterminer :
  • celui qui a la qualité d’employeur d’artiste ;
  • et s’il s’agit d’un contrat de travail ou d’un contrat de « vente » de
Or, la distinction entre contrat de travail et contrat de « vente » de spectacle est primordiale. Les enjeux, que ce soit en terme financier, en terme de responsabilité (etc.), sont importants. En effet, ils portent non seulement sur la question du paiement des charges sociales (qui en est responsable ?) mais aussi sur celle de la responsabilité d’employeur (à qui incombe-t-elle ?) ou encore sur la responsabilité du travail dissimulé...

QU’EST-CE QUE LE CONTRAT D’ENGAGEMENT COMMUN ?

Il s’agit d’un contrat de travail. Ce contrat de travail, au lieu de concerner un artiste, permet d’engager plusieurs artistes en n’ayant recours qu’à un seul contrat écrit. En principe, un contrat de travail doit être individuel. Néanmoins, l’article L. 762-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail « peut être commun à plusieurs artistes lorsqu’il concerne des artistes se produisant dans un même numéro ou des musiciens appartenant à un même orchestre ». Ainsi, alors que le principe général est que chaque salarié est lié à son employeur par un contrat individuel, une exception est prévue pour les artistes du spectacle vivant. Mais cette dérogation ne concerne que les artistes du spectacle vivant tels qu’ils sont définis par l’article L. 762-1 du code du travail, notamment le musicien, le chef d’orchestre, l’artiste lyrique, l’artiste de variétés, l’artiste chorégraphique, l’artiste dramatique. Un technicien, même lorsqu’il tourne avec un groupe d’artistes, ne peut pas être engagé par un contrat commun. Nb > En cas d’engagement d’un ensemble d’artistes accompagné d’un ou plusieurs techniciens, un contrat commun pourra être conclu pour les artistes mais il conviendra de signer un contrat de travail individuel pour chaque technicien. QUELLES SONT LES MENTIONS OBLIGATOIRES ? Le contrat de travail commun à plusieurs artistes « doit faire mention nominale de tous les artistes engagés et comporter le montant du salaire de chacun d’eux » (article L. 762-1 du code du travail). En outre, s’agissant la plupart du temps de contrat à durée déterminée (CDD) conclu pour une ou plusieurs représentations, le contrat commun doit comporter les mêmes mentions que tout CDD. Nb > Les CDD doivent obligatoirement comporter un certain nombre de mentions et notamment :
  • la définition précise de son motif (en l’occurrence X représenta- tion(s) d’un spectacle ..) ;
  • l’intitulé de la convention collective applicable ;
  • le montant de la rémunération ;
le nom et l’adresse de la caisse de retraite complémentaire (en l’occurrence le GRISS) et, le cas échéant, ceux de l’organisme de prévoyance. Ce contrat comportera donc les mêmes clauses que celles d’un contrat de travail individuel conclu avec un artiste du spectacle. Il précisera en outre la liste nominale des artistes engagés ainsi que le montant du salaire de chacun et, le cas échéant, le montant des remboursements de frais attribués à chacun. Pour chaque artiste, le numéro de sécurité sociale, le numéro Congés Spectacles (etc.), seront indiqués. Néanmoins, il faut signaler que, même si le contrat ne men- tionne pas le nom de chaque artiste, même s’il comporte un cachet global, il conserve quand même la nature d’un contrat de travail (cf. « Qui est employeur des artistes ?»). QUI SIGNE LE CONTRAT ? En principe, chacun des artistes mentionnés dans le contrat commun devrait signer le contrat. Néanmoins, l’article L. 762-1 du code du travail prévoit que le contrat commun à plusieurs artistes « peut n’être revêtu que de la signature d’un seul artiste à condition que le signataire ait reçu mandat écrit de chacun des artistes figurant au contrat ». Lorsque le contrat commun est signé par un seul artiste, celui-ci doit disposer des mandats écrits de l’ensemble des artistes concernés. Chaque artiste doit donc rédiger un écrit dans lequel il donne pouvoir à l’artiste mandataire de signer pour son compte et en son nom les contrats de travail. Seuls les artistes qui ont donné un mandat écrit sont tenus par la signature de l’artiste mandataire. Si l’un des artistes dont le nom figure sur le contrat n’a pas donné de mandat écrit à l’artiste avec lequel l’organi- sateur à signer le contrat, il n’est pas tenu de respecter ce contrat (refus de participer au spectacle, contestation de la rémunération prévue...). Du fait du mandat écrit, lorsque le mandataire signe le contrat commun, c’est comme si l’organisateur avait conclu un contrat de travail avec chaque artiste. En fait, il ne s’agit pas de l’engagement collectif d’un ensemble d’artistes. QUI EST EMPLOYEUR DES ARTISTES ? Dans le cadre d’un contrat d’engagement commun, c’est l’entreprise avec laquelle ce contrat est conclu qui est employeur des artistes. L’ensemble des artistes, y compris celui qui a été mandaté pour signer le contrat, est salarié de l’organisateur du spectacle qui les accueille. Néanmoins, dans certains cas, la jurisprudence a reconnu la qualité d’employeur à l’artiste qui signe les contrats. L’ARTISTE SIGNATAIRE DES CONTRATS PEUT-IL ETRE RECONNU EMPLOYEUR DES ARTISTES ? A plusieurs reprises, les tribunaux ont eu à trancher la question de savoir si l’artiste qui signait les contrats d’en- gagement d’un orchestre ou d’un ensemble d’artistes avait la qualité d’employeur. La cour d’appel de Riom (CA de Riom, 14 mars 1988, arrêt n°212) a ainsi reconnu la qualité d’employeur à un chef d’orchestre : • qui ne disposait d’aucun mandat écrit des autres membres de la formation ; • qui traitait lui-même avec les organisateurs de bals ou de spectacles, des contrats d’engagement de l’en- semble qui portait son nom ; • qui débattait d’une rémunération globale de l’orchestre dont il fixait lui-même à la fois le montant global ainsi que la répartition entre les différents membres de l’or- chestre. Nb > En l’espèce, celui-ci a été condamné à verser des indemnités de licenciement ainsi que des dommages et intérêts à l’artiste auquel il avait fait savoir par courrier qu’il ne faisait plus partie de l’orchestre. Au contraire, la Cour de cassation a considéré dans une décision récente (Cour de cassation, chambre sociale, 11 octobre 2000) que le chef d’orchestre n’était pas l’em- ployeur de l’artiste puisque : • les contrats conclus avec les organisateurs de spec- tacles comportaient la liste nominative des artistes ; • ces artistes avaient donné mandat au chef d’orchestre de les représenter. Nb > Le chef d’orchestre était mandataire des membres de l’orchestre, sans être inscrit au registre du commerce et sans qu’une association ait été créée. Ainsi, l’artiste qui signe les contrats d’engagement com- mun n’a pas la qualité d’employeur lorsque les formalités prévues à l’article L. 762-1 du code du travail sont res- pectées : • les contrats comportent la liste nominative de l’ensemble des artistes membres de l’orchestre ou du groupe ; • le montant du salaire de chaque artiste est indiqué sur le contrat ; • chaque artiste lui a donné un mandat écrit l’autorisant à conclure les contrats d’engagements pour son compte. Par contre, lorsqu’il n’a pas reçu de mandat écrit de la part des membres de l’orchestre, que les contrats conclus avec les organisateurs comportent sa seule signature avec l’indication d’un cachet global qui lui est versé et qu’il se charge ensuite de répartir, il prend le risque d’être considéré comme employeur des artistes. Lorsque les formalités prévues par l’article L. 762-1 du code du travail ne sont pas respectées, l’artiste peut être amené en conséquence à verser des indemnités de licenciement et des dommages et intérêts lorsqu’il fait savoir à un artiste qu’il ne fait plus partie du groupe ou de l’orchestre. Il peut même être reconnu coupable du délit de travail dissimulé pour ne pas s’être immatriculé en tant qu’entrepreneur de spectacles. Il encourt éventuellement les sanctions prévues pour l’exercice de l’activité d’entrepreneur de spectacle sans être titulaire de la licence. Nb > Dans une affaire où le contrat conclu avec une société d’événemen- tiels par une personne désignée comme le « mandataire de la trou- pe » ne précisait ni le nombre, ni l’identité, ni même la somme devant revenir à chaque artiste, la cour d’appel a condamné la personne désignée comme mandataire coupable de travail clandestin (cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre correctionnelle, 17 septembre 1996). Elle a en effet considéré que cette personne avait agi en qua- lité d’entrepreneur de spectacles, employeur des artistes, qu’il aurait donc dû demander son immatriculation et procéder aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale. La conclusion de contrat d’engagement commun sans respecter les formalités prévues par le code du travail fait donc courir des risques importants pour les membres du groupe ou le chef d’orchestre qui les signe. Cependant, une telle situation ne dégage pas pour autant l’organisa- teur de sa responsabilité d’employeur.

> L’ENTREPRISE QUI SIGNE LE CONTRAT

PEUT-ELLE ÉCHAPPER À SES RESPONSABILITÉS D’EMPLOYEUR ? Lorsque le contrat d’engagement d’un groupe ne com- porte pas la liste nominative des artistes et qu’il prévoit un cachet global, l’organisateur n’est pas dégagé de sa responsabilité d’employeur. En effet, les tribunaux se sont prononcés à plusieurs reprises en appliquant la présomption de salariat prévue par l’article L. 762-1 du code du travail : le fait qu’un contrat passé par  un  organisateur avec un ensemble artistique soit commun aux artistes composant cet ensemble et qu’il ne fasse pas mention du nom de chacun d’eux, n’est pas de nature à exclure la présomption légale de contrat de travail (Cour de cassation, chambre sociale, 14 novembre 1991). Ainsi, lorsqu’un organisateur signe un contrat comportant un cachet global avec un artiste représentant un groupe ou un orchestre, il est présumé être l’employeur de tous les membres du groupe ou de l’orchestre même si la liste des artistes n’est pas précisée. En effet, la présomption de salariat s’applique dès lors que l’organisateur ne contracte pas avec un entrepreneur de spectacles. Nb > La présomption légale de salariat a même été appliquée par la Cour de cassation à un contrat dans lequel il était stipulé que la prestation était versée à l’artiste qui signait le contrat et que celui-ci s’engageait à verser les charges sociales pour le compte de l’entreprise qui organisait le spectacle (Cour de cassation, chambre sociale, 28 janvier 1998). Le contrat faisait en effet mention nominale des trois artistes engagés et comportait le montant du salaire attribué à chacun d’eux ; le signataire avait reçu mandat écrit des trois artistes figurant aux contrats. Par conséquent, le contrat d’engagement commun doit être bien distingué du contrat de cession du droit de représentation d’un spectacle conclu entre un organisateur ou diffuseur de spectacles et un entrepreneur de spectacle titulaire de la licence de producteur. Lorsque l’organisateur pense être dégagé de sa respon- sabilité d’employeur et du paiement des charges sociales, du fait que le contrat prévoit un paiement global et parce qu’il contracte avec un représentant d’un groupe (etc.), il a tout intérêt à vérifier que son cocontractant est titulaire de la licence d’entrepreneur de spectacles. Nb > En l’absence d’une structure juridique titulaire de la licence, l’orga- nisateur devra :
  • soit s’assurer que les formalités prévues pour la conclusion de contrat d’engagement commun peuvent être respectées (cf. ci-dessus) ;
  • soit conclure un contrat de travail individuel avec chaqueL’ARTISTE QUI SIGNE LES CONTRATS DOIT-IL ETRE TITULAIRE DE LA LICENCE ? Dans le cadre d’un contrat d’engagement commun conclu dans les conditions prévues par l’article L. 762-1 du code du travail, tous les artistes du groupe ou de l’or- chestre, y compris celui qui est mandaté pour signer le contrat commun, restent salariés par l’organisateur du spectacle qui les accueille2. Du fait du mandat, l’artiste a le pouvoir de signer le contrat pour le compte des autres artistes, mais il n’est pas leur employeur. Lo rsque les formalités prévues par le code du travail sont respectées, la jurisprudence reconnaît qu’il n’exerce pas une activité d’entrepreneur de spectacles ; il n’est pas producteur de spectacles ou tourneur. Il n’a donc pas  à  détenir  la licence d’entrepreneur de spectacles.                3 Nb > Par contre, un orchestre ou un ensemble artistique peut être structuré juridiquement (association loi 1901, SARL, SCOP...). Dans ce cas, cette structure juridique peut salarier les artistes et conclure des contrats de « vente » de spectacles avec les organisateurs. Cette structure juridique est alors titulaire de la licence d’entrepreneur de spectacles. Celle-ci est détenue par le gérant dans une SARL ; dans une association, la licence peut être détenue par le président ou par le directeur, etc. DANS QUEL CAS RECOURIR AU CONTRAT D’ENGAGEMENT COMMUN ?
  • En principe, le recours à ce type de contrat doit permettre de simplifier la procédure d’embauche lorsqu’un entre- preneur de spectacles engage un ensemble artistique. Ainsi, lorsqu’on engage un orchestre de 30 musiciens et un chef d’orchestre, au lieu d’établir 30 contrats de tra- vail, un seul contrat suffit à condition qu’il y ait 30 man- dats écrits au chef d’orchestre (un par musicien). Néanmoins, lorsque le contrat ne précise pas la liste des artistes et leur salaire ou qu’il n’y a pas de mandat écrit, il sera parfois plus simple de signer un contrat de travail avec chaque artiste. 1 Tout contrat par lequel une personne physique ou morale s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité, objet de ce contrat, dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce. 2 Voir sur Legiculture, rubrique “Statuts juridiques, statuts particuliers”, puis “Entrepreneurs de spectacles et occasionnels”, puis Dossier « Entrepreneurs de spectacles vivants »